Opération d’une autiste

Je ne sais même pas si j’en ai déjà parlé ici et je n’ai pas envie de vérifier. Oui, je suis autiste. Et il y a trois jours, je me suis faite opérer. De l’œil. Avec une anesthésie locale.

Ayant subit la même opération il y a quelques années, je me suis préparée à ce dont je me souvenais : le retour immédiat de la vue, des picotements, un produit relaxant qui rend très positif, une attente interminable entre l’entrée en clinique et le début de l’opération, une attente interminable entre la fin de l’opération et la sortie, du personnel stressé par la quantité hallucinante de travail, l’obligation de rester immobile tant qu’on ne me dit pas que je peux bouger quoi qu’il arrive, le champ opératoire qui allait être posé sur mon visage et le manque de nicotine durant plusieurs heures.

Oui, je me suis préparée à tout ça parce que non, je ne dis pas à tout le monde que je suis autiste. J’ai travaillé toute ma vie pour camoufler ça tant que possible afin de ne pas me faire agresser par un trop probable et fréquent manque de compréhension.

Alors j’ai prévu : un super livre, mon téléphone chargé à fond pour écouter de la musique ou regarder des séries, mon casque-écouteurs chargé à fond, une batterie de secours chargée à fond aussi.
J’ai travaillé : mon sourire sympathique, mon ton de voix sympathique, quelques répliques de détournement d’attention, des chansons faciles à chanter dans ma tête pour faire passer le temps, une relaxation musculaire générale.

J’avais quelques questions à poser avant l’opération que je n’ai pas pu poser, ce qui aurait été un stress insurmontable si je ne connaissais pas déjà la chirurgienne-ophtalmo. Par chance, j’ai la chirurgienne-ophtalmo la plus patiente et gentille du monde. Je savais qu’elle allait répondre à toutes mes questions, même pendant l’opération. Et c’est ce qu’elle a fait. Avec calme, gentillesse, précision, assurance et douceur.

Les bonnes surprises :
– Le personnel soignant était d’une humeur particulièrement bonne. Pas une seule personne n’était de mauvaise humeur. Mon empathie en a été reconnaissante.
– J’ai eu une reconnaissance de mon travail sur mon apparente « normalité » : ma chirurgienne m’a dit après l’opération que l’anesthésiste m’a trouvée particulièrement sympathique. Effectivement, je le sentais bougon lorsqu’il a commencé à s’occuper de moi. Et moi, je n’avais pas envie que la personne qui devait veiller à mes signes vitaux pendants l’opération ne soit pas exclusivement concentrée sur moi. Alors j’ai sorti une réplique mêlant humour et empathie préparée à l’avance au cas où. Et ça a très bien fonctionné.
– L’équipe de la salle d’attente opératoire a particulièrement pris soin de moi. Peut-être à cause de mes allergies/intolérances peu courantes, peut-être parce que je les ai remerciés pour chaque attention sortant du protocole de base, peut-être parce que j’ai pris sur moi pour détendre les patients autour de moi avant que l’équipe n’en aient le temps… Quoi qu’il en soit, j’ai été particulièrement chouchoutée. C’était tellement bon de sentir uniquement du positif autour de moi dans un contexte où personne ne risquait de perdre quoi que ce soit en étant désagréable !! Je ne sais même pas si je l’ai déjà vécu. Si c’est le cas, je n’en ai aucun souvenir.
– On m’a enlevé presque tous les sparadraps qui me gênaient trop dès que je l’ai demandé. Seul le cathéter m’a été imposé jusqu’à ma sortie. Et même si j’en porte encore la trace (du cathéter et de la colle) aujourd’hui, ils n’ont fait aucun commentaire en voyant que j’en avait déjà décollé le maximum avant l’heure du retrait. Ils ont vraiment tous été très compréhensifs et empathiques. Quel bonheur !
– Ce n’est pas vraiment une surprise car je savais d’expérience qu’elle le ferait mais ma chirurgienne m’a expliqué ce qu’elle allait faire et pourquoi elle le faisait tout au long de l’opération. Et tout était parfaitement justifié. Cerise sur le gâteau, si une question ou une remarque sortait de ma bouche, elle me répondait avec sourire (oui, le sourire s’entend) et patience et s’assurant que je recevais toutes les information dont j’avais besoin. Je pense que toutes les personnes travaillant dans le domaine médical devrait en faire autant avec tout le monde.

Les mauvaises surprises :
– Après avoir bloqué mes paupières avec l’accessoire fait pour, une lumière ultra puissante m’a été mise brutalement dans l’œil. C’était horrible ! J’avais tellement mal ! Mon cerveau a disjoncté totalement ! Mais j’ai travaillé depuis l’enfance mon self-contrôle d’urgence et c’était l’un de ces moments où il fallait que je l’utilise. Tant pis pour la fatigue engendrée ! Ce n’était vraiment pas le moment de faire une crise qui les aurait dissuadés de me faire cette opération que j’attendais depuis si longtemps ! J’ai utilisé le mode « voix détendue »  pour dire « wouaou ! C’est puissant comme lumière ! Vraiment, ça fait mal ! Très mal !  Trop mal ! » Mais ma voix tremblait autant que mon corps. Heureusement, mon ophtalmo a fait preuve d’empathie en mettant un peu d’angoisse dans sa voix (je ne sais pas dans quelle mesure c’était conscient de sa part) lorsqu’elle m’a répondu « oh mon Dieu ! Je sais que c’est puissant ! Je ne pensais pas que ce serait aussi douloureux ! Je suis tellement désolée ! J’ai besoin de cette lumière pour vous opérer correctement. Attendez, on va essayer quelque chose. » Et elle a mis quelque chose devant la lumière pour la masquer. Elle l’a retiré tout doucement, de manière à ce que mon système nerveux ne soit pas choqué, jusqu’à ce que je sois capable de supporter l’intensité au moins le temps de l’opération.
– Je n’ai pas eu le droit de prendre ni mon smartphone, ni mes écouteurs, ni mon livre dans la salle d’attente. Rien pour me mettre dans ma bulle ! Panique ! Par chance (oui, j’ai eu beaucoup de chance ce jour-là), je n’ai pas attendu les deux heures annoncées avant de passer au bloc. Je ne sais pas pourquoi, j’ai à peine eu le temps de m’asseoir sur mon fauteuil d’attente qu’on m’a appelée pour passer au bloc. Mais les 90 minutes post-opératoire m’ont semblé une éternité ! J’avais envie/besoin de me lever et de faire le tour de la pièce en suivant murs et meubles. En fait, je n’ai tenu en place que 40 minutes (c’est déjà pas mal !) Ensuite, j’ai trouvé toutes les excuses imaginables pour me lever : aller me laver les mains, aller regarder l’horloge, aller aux toilettes, aider les sortants à remettre la clé et le cadenas de leur casier à la bonne place, tous les placer harmonieusement (clés et cadenas) sur leur support, aider les entrants à trouver leur siège, demander au personnel de m’expliquer leur travail… C’était vraiment fatigant de prendre autant sur moi ! Au moins, tout le monde était de bonne humeur…
– Le produit relaxant pré-opératoire n’a pas eu le même effet que dans mes souvenirs. Je m’attendais à « planer grave » durant quelques secondes mais je l’ai juste senti se diffuser dans mon corps. Rien de plus. Grosse déception. Les moments de réelle détente sont très rares dans ma vie et ça devait en être un. Dur à digérer. Je ne l’ai pas encore digéré, en fait…

Voilà. Une opération bénigne, pour une autiste, ça ressemble à ça. Et encore… J’ai conscience de faire partie des « chanceux » qui ont vécu assez de mauvaises expériences pour savoir à quoi ressemble le masque qu’il faut mettre pour ne pas se faire trop agresser par les gens normaux et qui ont assez peur des conséquences malheureuses d’une « honnêteté de personnalité » pour compenser plus que la santé ne le permet.
Autre chose : là, je n’ai raconté que l’opération en elle-même, le juste avant et le juste après. Mais j’en connaissais les conséquences et parmi elles il y en avait qui ne pouvaient pas être certaines.  J’en ai fait cauchemars et insomnies au moins une semaine avant. J’ai été incapable de maintenir mon logement propre, de faire des démarches administratives pourtant urgentes, d’être concentrée sur quoi que ce soit, de faire quoi que ce soit de commun pour les gens normaux en fait… Et aujourd’hui, alors que quelques jours sont passés, je suis encore en train de m’en remettre comme je peux.

J’espère que ce récit pourra aider d’autres personnes comme moi à mieux vivre ce genre de situation mais surtout qu’il pourra aider l’entourage à accompagner efficacement et le monde médical non formé à se rendre compte de ce que c’est et à prévoir des protocoles adaptés.

Bonne chance….

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